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Critérium du Dauphiné | Mikaël Chérel raconte son Romain Bardet : “C’est le gars qui part en Écosse en vacances en octobre”

Comment expliquez-vous cette relation si particulière qui s’est construite entre vous et Romain Bardet au fil des années ?  

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Mikaël Chérel : Les liens amicaux se créent sans côté rationnel. On s’est tout de suite bien entendus quand il est arrivé dans l’équipe en 2012. Je me souviens du Tour de Catalogne de cette année-là où il s’était dévoué pour moi. J’ai compris que ce jeune avait beaucoup de talent et qu’il était capable aussi de se mettre au service du collectif. Ça nous avait déjà lié parce qu’on avait vécu cette mauvaise expérience, une journée exécrable. Il pleuvait, il faisait froid, il neigeait, l’étape a été rabotée. Il roule pour moi, je finis 4e sur une arrivée improvisée et je dois prendre le maillot de leader. Le soir, on apprend que des équipes réclament que les temps soient neutralisés. C’était déjà un moment assez fort, une immense déception.

Vous êtes d’accord avec Romain puisque lui évoque en Catalogne, le “terreau de votre complicité”… 

M.C. : Moi, ce que je retiens de ma carrière, c’est plutôt une vie d’aventure et de relations humaines. Ce sont toutes les émotions que j’ai vécues, et beaucoup se sont écrites avec Romain. Des émotions, et c’est compliqué de l’expliquer à quelqu’un qui a une vie “normale”, qui sont incroyables. La fatigue amplifie les émotions le soir après les étapes et comme il le dit oui, en Catalogne, c’est sans doute la naissance d’une belle relation à deux. 

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“Fou”, “sublime”, “fabuleux” : Bardet est “enfin lui-même” et en jaune

Video credit: Eurosport

Vous avez partagé 300 jours de course ensemble. Il est le coureur avec qui vous avez le plus couru, et inversement… 

M.C. : 300 ? C’est un petit signe du destin, une belle satisfaction. Et puis, on a passé énormément de journées ensemble en stage aussi. On a vécu beaucoup d’émotions, des moments de joie, mais aussi des moments où on s’est forgé dans la difficulté. Quand il s’agissait de convier un équipier sur un stage d’altitude, c’était moi qu’il choisissait. J’ai passé physiquement de mauvais moments parce que Romain sur la majeure partie de sa carrière, c’était quelqu’un qui aimait se dépasser, rouler vite, et pour moi qui était physiologiquement moins fort que lui, ce n’était pas facile. Mais malgré tout, j’étais convaincu que ce qui lui faisait du bien, me faisait du bien aussi et m’aidait à progresser.  

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Votre carrière aurait-elle été complètement différente sans lui, et réciproquement ?

M.C. : Bien sûr. Je pense, en étant honnête, que j’ai plus gagné moi-même à l’avoir à mes côtés que lui. C’est le leader français de la dernière décennie en matière de course par étapes. Si ça n’avait pas été moi, ça aurait été un autre. Mais effectivement, ça fonctionnait bien parce qu’on avait la même vision. On avait cette complicité, cette amitié, mais en course on avait tous les deux cette clairvoyance de sentir le bon moment quand il fallait remonter. J’en parle et je ressens encore cette adrénaline du moment, ce stress. A Albi, sur l’étape du Tour de France 2019 où Thibaut Pinot s’était planté de rond-point, nous aussi on s’était trompé mais on avait réussi à prendre le premier groupe. Sur le vélo, on se trouvait, on se comprenait sans se parler. 

Était-il le genre de leader à faire une confiance aveugle à un coéquipier ? 

M.C. : J’ai eu des leaders avec lesquels ça a été plus compliqué, où il fallait batailler pour les faire remonter, Romain me disait : “tu es mes yeux, je te suis“. Il avait besoin aussi de se décharger de cette pression mentale de devoir choisir le bon moment pour remonter quand ça devenait critique. Son rôle était d’exploiter sa forme dans le money-time pour aller faire le résultat. 

Alexis Vuillermoz, Romain Bardet et Mikaël Chérel à la fin du Tour de France 2016

Crédit: Getty Images

Je reviens un peu en arrière, on a beaucoup raconté qu’il avait amené les stages en altitude chez AG2R en partant d’abord tout seul avec son père… 

M.C. : Son premier stage c’était avant les Ardennaises de 2013. Il part en effet avec son père. Il s’est informé autour de l’altitude, du fait qu’elle était bénéfique et qu’il y avait un centre à 2 300 mètres en Sierra Nevada. Il s’organise pour y aller avec son père et le faire valider par l’équipe. Il a un peu essuyé les plâtres mais vu la consistance de son niveau sur les Ardennaises cette année-là, l’équipe a suivi. C’était un précurseur, quelqu’un de pragmatique qui aimait être artisan de son projet. Ça lui a coûté parce qu’il était aussi artisan du projet collectif et c’est ce dont il a voulu se délester à un moment quand il est parti ailleurs. 

Je l’ai vu parfois regarder un peu dans mon assiette…

Cette histoire autour des stages résume assez bien le coureur qu’il a été, non ? 

M.C. : On y serait sans doute venu avec l’équipe mais Romain aimait optimiser les choses. Il était aussi souvent à contre-courant. Déjà c’est le seul coureur que j’ai vu lire Le Monde Diplomatique. Moi je l’ai acheté une fois, j’ai mis 40 minutes à lire un article (rires). Romain c’est le gars qui part en Écosse en vacances au mois d’octobre quand tout le monde part en République Dominicaine. 

En stage, vous avez dû vivre de grandes choses aussi… 

M.C. : Traditionnellement l’équipe organisait des stages de 18 jours. En 2017,  Romain me dit  qu’il aimerait en faire quatre de plus. On reste avec un staff un peu limité et le 19e ou le 20e jour, mon boyau se décolle de ma roue et je chute dans la première descente. Romain n’y croyait pas, et puis je passe des radios en Espagne. Il m’a dit : “écoute, je comprends trois mots d’espagnol mais ils disent qu’il n’y a rien de cassé“. Bon, je ressors avec les béquilles et je ne posais plus le pied par terre. 

A un moment, on l’a décrit un peu dur avec ses coéquipiers. On disait qu’il était un ascète et qu’il imposait sa rigueur aux autres. Était-ce une réalité ? 

M.C. : Pas avec tous les coéquipiers. C’est peut-être sorti d’un article où je disais qu’il était aussi dur avec lui-même qu’avec moi. J’étais durant ces années son lieutenant donc je m’infligeais aussi sa rigueur parce que je l’ai vu parfois regarder un peu dans mon assiette me dire,”est-ce vraiment nécessaire ?“. Finalement, il avait raison et je pense que la confiance d’un sportif, c’est la confiance en lui-même et la confiance dans ses coéquipiers aussi. Ça renforçait sa confiance de savoir que j’étais à un niveau optimal. Ça nous tirait vers le haut l’un et l’autre. Lui, je savais qu’il appréciait mon côté serein dans le peloton. Et moi, ça me permettait de me surpasser. 

Bardet : “Treize ans de ma vie… C’est fini, mon histoire s’arrête”

Video credit: Eurosport

Vous étiez d’une loyauté absolue envers lui. Était-il ce genre de leader à qui l’on peut tout donner ? 

M.C. : Il avait compris qu’un bon leader, c’était aussi un bon manager de ses équipiers. Il a étudié comment devenir un bon leader. Il disait que j’avais un gros potentiel mais je crois qu’il me voyait peut-être plus beau que je n’étais.  Je savais que ça lui apportait une grande confiance de savoir que moi, j’étais bien. Parfois en course, quand il me demandait : “Ça va Mika ? Comment tu te sens ?” Je disais “bien” alors que j’étais complètement bouilli (rires).  

Je pense qu’il a couru contre nature

Le plus grand moment à deux, c’est cette attaque dans la descente de la Côte de Domancy sur le Tour de France 2016 mais vous commencez ce Tour bien difficilement… 

M.C. : Il faut revenir un peu en arrière pour tout comprendre. L’année d’avant je termine 18e du général en roulant à ses côtés. L’équipe croit beaucoup en moi, je fais un super Dauphiné et je suis à mon meilleur niveau. Entre ça et le Tour, je cherche à perdre un petit kilo. Je suis complètement amaigri, je fais 62,5 kg pour 1,86 m. Dans les Pyrénées, je suis complètement transparent. Romain performe vraiment fort, tout seul, sans trop d’aide de l’équipe. Cette année-là, les équipiers, on était très mauvais. Et puis arrive l’étape qui va à Saint-Gervais-Mont-Blanc. 

Et là, vous avez un coup de génie, un coup de folie… 

M.C. : Au milieu de l’étape, il tombe un orage. Sky avait la main sur la course avec la BMC pour Richie Porte. Je vois les coureurs devant nous qui glissent, qui prennent des très mauvaises trajectoires. Ça devient un peu chaotique. Je remonte à sa hauteur et je lui dis : “Pour moi, la course va se gagner dans la descente de Domancy“. Il me regarde un peu surpris et je lui dis que j’ai envie qu’on fasse la descente tous les deux. Il me répond juste : “si tu le dis, on le fait“. On se jette tambour battant dans la descente. Dans l’oreillette, on nous dit : “les gars, on assure, on assure. Mika, on ne fait pas les cons“. Et Vincent Lavenu : “ils vont tout foutre en l’air. Pourquoi ils font ça ?” Romain fait une montée de dingue derrière.  

Comment vivez-vous tout ça à distance ? 

M.C. : Pour moi, c’était un peu l’euphorie de grimper même 10 minutes derrière parce que les gens sur leur téléphone avaient vu l’action et les encouragements étaient super. C’était, “bravo, vous l’avez fait“. J’avais les infos dans l’oreillette, ça s’affolait. “Tu vas le faire, tu ne te relèves pas jusqu’à la ligne. Tu vas la chercher“. C’était complètement dingue. A l’arrivée, on tombe en pleurs. À part la naissance d’un enfant, je ne vois pas ce qui peut arriver de mieux.  

Mikaël Chérel, heureux comme si lui-même avait gagné sur le Tour de France 2016

Crédit: Getty Images

Ce jour-là, Romain Bardet est offensif, ce qu’il a finalement peu été dans ces années-là par la force des choses. Plus tard, il a confié qu’il n’était pas tout à fait lui-même à ce moment-là. Qu’en pensez-vous ? 

M.C. : Rationnellement, il savait qu’il avait de grandes capacités à faire les classements généraux parce que sa force majeure c’est de bien récupérer. Donc il savait que pour optimiser le meilleur classement et pour un jour gagner un grand tour, il fallait suivre au maximum et puis attendre d’ouvrir une brèche en troisième semaine Mais oui je pense qu’il a couru contre nature. La manière dont on le découvre attaquant ces derniers mois, ces dernières années, il aurait aimé le faire sauf qu’il était ambitieux, qu’il savait où il voulait aller, où il pouvait aller, c’est-à-dire gagner le Tour de France un jour. Le découvrir en mode attaquant aujourd’hui ça ne me surprend pas du tout. 

Comment avez-vous vécu à ce propos la première étape du Tour 2024, cette attaque, cette victoire, ce maillot jaune ? 

M.C. : Il est là le vrai Romain. Il bouche une minute dans un col à 40 bornes de l’arrivée, il revient sur l’échappée, il prend le maillot jaune… C’était la consécration, c’est tout un symbole pour un coureur de porter le maillot jaune sur le Tour. C’était la couronne qu’il n’avait pas. Il a fait podium deux fois, six ou sept fois dans le Top 10, mais il n’avait jamais pu porter le maillot jaune. C’est une ligne qui lui manquait. Il n’est pas du style à poser une photo sur sa cheminée, mais je suis sûr qu’à un moment donné, il y reviendra. Ça a rendu tout le monde heureux, parce que c’est le symbole et pour moi Romain Bardet, c’est le champion du Tour. Je pense que beaucoup de gens se souviendront très longtemps de la manière dont il l’a obtenu. Le scénario était impossible à imaginer, il l’a imaginé et en plus il a réussi. 

La fin de votre histoire commune chez AG2R avec cette chute sur le Tour, cet abandon et son départ ensuite, est un peu triste… 

M.C. :  Ça a été très très dur à vivre. Je ne le vois pas chuter parce que j’étais aller chercher des bidons. Je reviens, il est au sol, sonné. Julien Jurdie (directeur sportif) se précipite pour le remettre en selle une première fois. Il tombe et moi je ne pense pas à la commotion cérébrale. Il reste 40 kilomètres et quand il rentre à l’hôtel, il ne se souvient de rien. Le médecin me dit de le surveiller. Il a passé une très mauvaise nuit, il ne dormait pas, il avait envie de vomir. Le lendemain, il décide de ne pas repartir et puisqu’on est à Clermont, aller voir un spécialiste des commotions. C’était vraiment triste parce que derrière je savais aussi qu’il partait, que c’était la fin de l’histoire.

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