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“Si nos grandes fortunes partaient demain s’installer aux îles Caïmans, elles ne paieraient presque pas moins d’impôts”, selon Gabriel Zucman

Gabriel Zucman, est économiste, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité et professeur à l’Ecole Normale Supérieure. Après avoir été adoptée à l’Assemblée en février, la taxe qui porte son nom sera examinée demain, jeudi 12 juin, au Sénat. Son projet de loi est un impôt plancher, inspiré par ses travaux, qui prélèverait au moins 2% du patrimoine des “ultra-riches”, les “centimillionaires”, c’est-à-dire ceux dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros. Cette mesure concernerait environ 1 800 contribuables aujourd’hui en France et rapporterait, selon lui, 20 milliards d’euros aux finances publiques.

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Cette mesure est évidemment controversée et a peu de chance d’aboutir au Sénat, à majorité de droite. Risque d’exil fiscal, parts d’entreprise qui pourraient être vendues à des fonds étrangers… Gabriel Zucman explique pourquoi ces craintes sont erronées.

Franceinfo : Vous dites que “la France est un paradis fiscal pour milliardaires”… Le Sénat étant en majorité de droite, croyez-vous à l’adoption de votre texte ?

Gabriel Zucman : À terme, oui. Mais j’ai un petit peu peur qu’il se reproduise ce qui s’est passé il y a plus d’un siècle, au moment du vote de l’impôt sur le revenu : la Chambre des députés avait voté, à l’issue de décennies de débats parlementaires, l’impôt sur le revenu en 1909, et le Sénat, à majorité conservatrice, l’avait bloqué jusqu’en 1914. Et je ne pense pas qu’on puisse se permettre de perdre cinq ans, compte tenu de nos problèmes de finances publiques, de l’urgence écologique, de notre besoin d’investissements dans les services publics. Il y a une énorme demande et une pression citoyenne pour que cet impôt soit adopté par le Sénat. 80% des Français le soutiennent. Donc, j’appelle les sénateurs à voter dès demain.

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Pour vous, est-ce une question de justice fiscale ?

Elle vient corriger un problème fondamental de notre fiscalité : les très grandes fortunes paient moins d’impôts par rapport à leurs revenus que les classes moyennes et les classes populaires. Dans l’ensemble, tout le monde paye beaucoup d’impôts en France, on a un taux de prélèvements obligatoires élevé.

“Les classes moyennes et classes populaires paient 50% de leurs revenus en impôts. Mais les milliardaires, c’est 27% seulement, deux fois moins.”

Gabriel Zucman, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité

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à franceinfo

Cette loi, elle viendrait simplement mettre en conformité nos lois fiscales avec notre principe constitutionnel fondamental d’égalité devant l’impôt, qui aujourd’hui est violé.

En février, vous disiez que la France était un “paradis fiscal pour milliardaires”. Maintenez-vous ?

Tout à fait. Si toutes nos grandes fortunes partaient demain s’installer aux îles Caïmans, elles ne paieraient quasiment pas moins d’impôts. Et les recettes fiscales de la France baisseraient à peine, de l’ordre de 0,02 point de PIB. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui nos milliardaires ne payent quasiment pas – ou pas du tout – d’impôts sur le revenu, en structurant leur patrimoine avec des sociétés holding, etc. Le dispositif que je propose, c’est simplement un plancher. Et la beauté du taux plancher, c’est qu’il vient s’attaquer à toutes les formes d’optimisation fiscale, quelles qu’elles soient, donc c’est un dispositif anti-abus très puissant.

On ne peut pas payer moins de 2% d’impôts. Ceux qui payent déjà l’équivalent de 2% de leur patrimoine seraient-ils donc exemptés ?

Oui. C’est un dispositif extrêmement ciblé, non seulement sur les très grandes fortunes de plus de 100 millions d’euros de patrimoine, mais sur ceux qui, parmi les ultra-riches, pratiquent l’optimisation fiscale, et donc aujourd’hui, paient moins de 2% de leur patrimoine en impôt sur le revenu.

Et combien rapporterait cet impôt, selon vos calculs, aux caisses de l’État ?

De l’ordre de 20 milliards d’euros. Ce qui, dans l’équation budgétaire actuelle, évidemment, est tout à fait significatif. Le gouvernement nous dit qu’il faut trouver 40 milliards d’euros d’économies ou de nouvelles rentrées fiscales, donc c’est la moitié qu’on pourrait trouver sur les contribuables ultra-riches et sous-imposés. Ça ne va pas résoudre tous nos problèmes de finances publiques. Ce n’est pas suffisant, mais c’est nécessaire.

“Concernant les 40 milliards d’économies, c’est impossible de demander des efforts aux autres catégories sociales avant qu’on ait réglé cette injustice fiscale fondamentale.”

Gabriel Zucman

à franceinfo

Emmanuel Macron craint le risque d’exil fiscal qu’entraînerait cette mesure. Vous répondez qu’on peut mettre en place un bouclier anti-exil. De quoi s’agit-il ?

L’exil fiscal, c’est un risque qu’il faut prendre au sérieux. Et la meilleure façon de le prendre au sérieux, c’est d’abord de se pencher sur les études existantes. Toutes aboutissent à la même conclusion : l’exil fiscal est très faible. On parle d’un taux de 2%, il n’y a aucune étude sérieuse qui dise que le risque soit très élevé. D’autant plus que, dans la proposition de loi, il y a une innovation : ce bouclier anti-exil fiscal, qui vient soumettre les éventuels exilés fiscaux à cet impôt plancher de 2% jusqu’à cinq ans après leur départ. C’est une innovation et ce serait de nature à réduire encore davantage le risque d’exil fiscal.

Quand vous parlez de patrimoine, de quoi parlez-vous exactement ? Le patronat craint qu’on puisse y inclure l’outil de travail. Pour vous, c’est le cas ?

Oui, le patrimoine, c’est la valeur de marché de toutes vos propriétés, nettes de vos dettes. Et vos propriétés, elles peuvent être immobilières, financières, et pour les gros patrimoines, c’est surtout des actions de grande entreprise. Les opposants à ce dispositif veulent sortir les grosses détentions actionnariales. Ils veulent dire : “On sort de la fortune de Bernard Arnault, les actions LVMH, on sort de la fortune de Vincent Bolloré les actions du groupe Bolloré”. Ça n’a aucun sens.

Le ministre des Finances Eric Lombard met en garde : si vous devez payer 2% de votre patrimoine en impôts par an, vous devez vendre une partie de votre entreprise, qui serait à terme rachetée par des fonds étrangers. Ce risque-là existe-t-il ?

Non, c’est doublement inexact. D’abord parce que, en moyenne, le patrimoine des personnes concernées rapporte 5 à 6% par an. C’est le taux de rendement sur les très grandes fortunes, qui correspond à la rentabilité des grandes entreprises en question. Donc les grandes fortunes ont des revenus, quasiment toutes, nettement supérieurs aux 2%. C’est vrai que parfois, il peut y avoir, dans des cas rares, des problèmes de liquidité. L’exemple célèbre est celui des licornes, qui sont très valorisées par le marché boursier mais qui ne font pas encore de profits. Dans ce cas-là, il y a deux solutions. D’abord, il faut permettre l’étalement des paiements – on fait ça pour l’impôt sur les successions au taux de 45% depuis très longtemps – donc on pourrait le faire pour cet impôt au taux de 2%. Et deuxièmement, il faut permettre aux personnes concernées de payer l’impôt en nature, avec des actions de leur entreprise, que l’État pourra ensuite revendre aux salariés des entreprises en question. Ou s’il n’y a pas assez de preneurs, à d’autres investisseurs français. En mettant – et c’est ça la réponse au ministre – des interdictions à toute revente à des non-résidents.

On dit aussi que la loi pourrait être retoquée par le Conseil constitutionnel ?

C’est au Conseil constitutionnel de se prononcer, bien sûr. Mais je signale que la France a depuis très longtemps un impôt sur le patrimoine, qui est prélevé indépendamment de tout revenu : la taxe foncière,  qui existe depuis des siècles. Vous devez la payer, quel que soit votre revenu. Si vous avez dix châteaux qui ne génèrent aucun revenu, que vous ne louez pas, vous devez payer la taxe foncière sonnant et trébuchant. Ça, c’est constitutionnel, ça existe depuis des siècles.

“L’impôt plancher sur les milliardaires, c’est simplement élargir la logique de la taxe foncière à non pas seulement l’immobilier, mais l’ensemble du patrimoine au-delà de 100 millions.”

Gabriel Zucman

à franceinfo

L’idée qu’il y aurait un risque de confiscation pour un dispositif qui maintient un socle de 100 millions d’euros sur lequel on peut payer zéro impôt – car il ne s’applique qu’au-delà de 100 millions – me semble délirante.

De son côté, le ministère de l’Economie travaille aussi sur un dispositif anti-optimisation. On n’en a pas encore les contours, mais cela va-t-il déjà dans le sens de ce que vous cherchez ?

Les contours ont été esquissés par la ministre du Budget. Ce qui en ressort, c’est d’abord un taux de 0,5%, quatre fois plus faible que les 2% et qui maintiendrait donc une forte injustice fiscale. Mais surtout, ce serait 0,5% sur le patrimoine à l’exclusion des biens professionnels, qui représentent à peu près 90% du patrimoine des fortunes concernées. Donc on divise l’assiette par dix, on divise le taux par quatre. Donc en réalité, ce serait 40 fois moins de recettes fiscales que les 20 milliards d’euros.

“Avec le taux plancher de 2%, c’est 20 milliards qu’on peut trouver dès demain avec le vote au Sénat. Avec ce que propose le gouvernement, c’est 500 millions.”

Gabriel Zucman

à franceinfo

Selon vous, si le texte ne passe pas demain, pensez-vous qu’il finira forcément par être adopté dans les cinq ans à venir ?

Oui, parce qu’on a déjà fait beaucoup de progrès. Il y a encore quelques années, beaucoup de personnes contestaient le constat de la régressivité du système fiscal. Ce n’est plus le cas. Maintenant tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut au minimum. La plupart des gens sont aussi d’accord pour dire qu’il faut que le taux minimum soit exprimé non pas en pourcentage du revenu, mais en pourcentage du patrimoine. Alors il reste quelques débats sur les taux ou sur l’assiette, mais on y est presque. On va y arriver.

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